Congrès 2006 – Le Mans “Lettres d’Amérique”

Lettres d’Amérique
Université du Mans
26-28 mai 2006
(doctoriales : jeudi 25 Mai)

Le congrès a son propre
site. Pour y accéder, cliquez ICI.

Conférences plénières

Lori Ginzberg (University of Pennsylvania) : "Politics,
Puzzles, and Place: Journeys in the intellectual history
of American Women"

Steve McCaffery (SUNY, Buffalo) : "Contemporary American
Poetics: Reflections and Repositions"

Description des ateliers (avec
le nom des responsables)

Des notes et des lettres
Éric Athenot, Véronique Béghain

Si les rapports fructueux entre la littérature
et les musiques américaines dites « populaires » sont
un des topoi de la critique universitaire, force est de regretter
le peu d’intérêt suscité par ceux,
au moins tout aussi féconds, qu’entretiennent, aux
Etats-Unis, les lettres avec la musique dite « savante », « sérieuse » ou
encore « contemporaine ». Peut-être, dans le
sillage d’Adorno, les américanistes se laissent-ils
intimider par le lien de « sororité dysharmonique » censé unir
ces deux formes de création artistique. Pourtant, à en
croire Lyotard, « lire est entendre et non pas voir ».
Souvenons-nous également que les pays anglophones désignent
notes et tonalités musicales par les sept premières
lettres de l’alphabet.
La musique est partout présente dans les lettres américaines.
Symptôme des dérèglements dont souffre le
héros poesque (cf. « the wild improvisations of
his speaking guitar », dans « The Fall of the House
of Usher »), elle est aussi, au même titre que l’élaboration
linguistique, synonyme d’ordre, d’accomplissement
logique et elle traduit les aspirations nostalgiques du personnage
central du roman de Richard Powers, The Gold Bug Variations.
La musique américaine, quant à elle, de la « Concord
Sonata » d’Ives à « Hydrogen Jukebox » (Glass/Ginsberg),
puise abondamment dans la production littéraire de son
pays, à la façon des compositeurs allemands du
XIXe siècle face à leur riche patrimoine poétique.
Le dialogue musique-littérature est constant, tissant,
dès les origines (Bristow/Irving), sur le mode de la « traduction
intersémiotique » ou « transmutation » (telles
que les entend Jakobson), un réseau de correspondances
qui s’élargit au XXe siècle (Thomson/Stein,
Floyd/Steinbeck, Reich/W.C.Williams, Prévin/T.Williams,
Bolcom/A. Miller, Harbison/Fitzgerald, etc.) pour faire parfois
dialoguer les siècles entre eux, comme en témoignent « The
Garden of Mystery » (Cadman/Hawthorne), « Harmonium » (Adams/Dickinson), « The
Wound-Dresser » (Adams/Whitman) ou les « Dickinson
Songs » d’André Prévin. D’autres
compositeurs, à l’instar de John Cage, s’ingénient à déconstruire
les conventions musicales en élaborant des objets artistiques à mi-chemin
entre musique et langage.
L’objet de cet atelier sera de poursuivre les interrogations
soulevées lors du précédent congrès
de l’AFEA, en s’attachant tout particulièrement à l’unité minimale
que représente la lettre (dans le langage comme en musique).
Les communications auront pour objectif d’étudier
comment deux arts qu’une longue tradition philologique — de
Platon à Quignard — s’acharne à opposer
tentent de conjuguer leurs différences fondamentales dans
l’exercice de la transcription en lettres et/ou en notes
du texte littéraire et/ou musical de départ. Seront
tout particulièrement bienvenues les communications ayant
trait à la métamorphose du discours musical en
objet littéraire. Inversement, seront encouragés
les travaux s’attachant à analyser le travail de
transcription musicale du matériau linguistique de départ
par les compositeurs américains.

 

L’esprit de la lettre.
Abigail Lang

L’atelier propose de s’interroger
sur la lettre et le littéral et sur leur présence
massive dans la poésie américaine, et plus particulièrement
dans les mouvements d’avant-garde du vingtième siècle.
On réfléchira au statut unique et problématique
de cette particule élémentaire, « atome » de
l’écrit, plus petit dénominateur des langues
alphabétiques, et aux paradoxes qu’elle concentre.
Non référentielle, non représentative, dénuée
de signification lorsqu’elle est isolée, ses groupements
et permutations infinis produisent une infinité de sens.
La Kabbale affirme ainsi qu’en premier ont été créées
les lettres et que de leurs combinaisons est né le monde.
Unité fondamentale de l’écrit, elle relève
pourtant plus du visible que du lisible puisqu’elle doit
se laisser oublier pour que la signification émerge. Sa
persistance iconique menace la transparence du sens, concurrence
la figure, inquiète la syntaxe et questionne l’origine
; d’où son succès auprès des poètes
qui se réclament d’un matérialisme, qu’il
soit marxiste ou présocratique. Nouveau paradoxe, ce matérialisme
n’est pas sans risque de fétichisation ; Zukofsky
et Mac Low utilisent ainsi des dictionnaires spécifiques
dont ils rendent la pagination signifiante. Quant au littéral,
il évoque un scrupule, une éthique, une conformité à
un original qui suggère une vérité, une
transcendance. Par la lettre s’ouvre ainsi l’écart
entre des conceptions du monde inconciliables ou complices, tels
le mysticisme et le matérialisme.
On pourra envisager toute pratique poétique mettant en
jeu la lettre ou le littéral : textes strictement alphabétiques
(anagrammes, lipogrammes, acrostiches, palindromes, abécédaires…),
textes construits à partir de l’ordre alphabétique,
qu’ils embrassent cet arbitraire qui oblige ou cherchent à « remotiver » l’alphabet,
textes prenant la lettre comme unité poétique alternative,
mais aussi, plus largement, textes où le littéral
fait irruption, où le jeu grammatical menace la communication
au point de susciter le verdict d’illisibilité.

 

« To whom it may concern : écritures
en correspondances »
Brigitte Félix

Cet atelier se propose de s’interroger
sur les avatars de la correspondance dans le roman américain
contemporain, marqué par l’exhumation de textes
réels ou fictifs, le déploiement des jeux intertextuels
et le recours à l’épistolaire, entre autres
multiples formes de ce dialogue riche et complexe que la littérature
engage avec elle même, avec d’autres écritures,
avec ses lecteurs, avec l’univers dans lequel elle s’inscrit.
Figures de la quête, figurations de l’absence ou
du manque, projections d’autres et d’ailleurs espérés
et craints dans un monde étrange de réseaux et
de replis, les modalités de la correspondance (adresse,
envoi, destinataire/lecteur) dans le roman contemporain éclairent
un rapport au discours, à l’autre, à l’objet
littéraire, à la circulation de l’information,
que l’atelier cherchera à dégager.
Les communications peuvent porter sur des fictions épistolaires à part
entière, la présence de la lettre (et les incidences
formelles de cette présence), son statut dans le roman,
la résurgence de genres axés autour de la lettre,
dans un dialogue entre épistoliers, mais aussi avec un
passé littéraire et des aires culturelles autres.
On pourra également considérer les déclinaisons
du dialogue intertextuel, interculturel, intergénérationnel,
intergénérique à l’intérieur
du roman ou dans l’émergence de courants fictionnels,
afin de dégager les enjeux divers de ces correspondances à l’œuvre
dans les écritures contemporaines.

La lettre de la loi
Vincent Michelot

L’actualité politique de l’automne
2005 avec deux vacances à pourvoir à la Cour suprême
des Etats-Unis remet sur le devant de la scène le débat
sur les modes de lecture de la Constitution et des textes de
loi dans le contrôle de constitutionnalité des lois.
Le président Bush a toujours rappelé qu’il
ne nommerait à la Cour que des juges tenants de la « réserve » judiciaire
ou de la déférence (judicial restraint), tout en
désignant à la vindicte conservatrice ces magistrats
qui légifèreraient depuis leur siège ou
feraient preuve d’activisme. Il s’inscrit là dans
une tradition bien établie d’une approche littéraliste
ou originaliste de l’adjudication constitutionnelle, à l’opposé des « interprétivistes »,
tenants d’une Constitution vivante que chaque génération
se réapproprie par le biais des décisions du tribunal
suprême. Pour autant, en témoigne l’opposition
virulente à la proposition de nomination de Harriet Miers à la
Cour en remplacement de Sandra Day-O’Connor, certaines
organisations de la droite américaine, en particulier
dans sa composante religieuse, revendiquent ouvertement l’obligation
qu’aurait le président de nommer des activistes
conservateurs. Ici, le réformisme conservateur à petits
pas ou le pragmatisme incrémental de la première
femme à avoir siégé à la Cour sont
montrés du doigt par les conservateurs de mouvement. D’une
certaine façon, l’avenir du mouvement conservateur
aux Etats-Unis et la pérennisation de la domination républicaine
semblent se jouer dans le débat entre esprit et lettre
de la loi.
Cet atelier invite donc les participants à réfléchir
autour des thèmes suivants :originalisme, littéralisme,
interprétivisme, activisme, retenue ou déférence
sont-elles encore des catégories opératoires de
l’analyse du discours juridique ? activisme judiciaire
et conservatisme sont-ils compatibles ? peut-on aujourd’hui
investir ses espoirs réformateurs (conservateurs ou progressistes)
dans le judiciaire ?existe t-il un ordre constitutionnel conservateur
qui soit le pendant de l’ordre constitutionnel de la Cour
Warren ? Ce dernier existe-il encore aujourd’hui dans une
forme signifiante pour les libertés civiles ? la place
du religieux et des droits naturels dans la lettre constitutionnelle
conservatrice : handicap ou atout ? Sandra Day-O’Connor
: modèle de quel conservatisme ?

 

Lettres d’immigrants aux Amériques
Annick Foucrier

Pays d’immigrants, les Etats-Unis et le
Canada sont aussi des lieux de production de lettres de la part
de ces immigrants. Certains courriers sont acheminés vers
le pays d’origine, la famille, les amis, donnant des informations
sur des lieux inconnus, répondant à la curiosité de
ceux qui ne sont pas partis. Ces lettres sont généralement
favorables aux pays d’accueil, elles dressent un tableau
pittoresque et positif de l’environnement nouveau dans
lequel le voyageur se trouve, elles embellissent souvent sa condition,
elles contribuent parfois à décider ceux qui sont
restés au pays à rejoindre celui qui est parti
en avant-garde. Certaines de ces lettres, adressées à une
mère, un père ou un frère, ont été pieusement
conservées.
D’autres lettres circulent à l’intérieur
du pays d’accueil, entre immigrants compatriotes ou entre
immigrants et représentants du pays d’accueil :
pour des demandes de conseil, d’emploi, de logement, des
témoignages. Il peut s’agir de lettres familiales,
professionnelles, politiques.
Des lettres d’immigrants anglais, irlandais, hollandais,
norvégiens, français, allemands, ont été rassemblées
et publiées, mais beaucoup d’autres restent enfouies
dans les greniers ou les dépôts d’archives.
Ces lettres, la plupart du temps non destinées à être
publiées, renseignent sur la vie quotidienne des immigrants,
leurs espoirs, leurs luttes, les réseaux dans lesquels
ils s’intègrent.
L’atelier pourrait s’interroger sur les problèmes
de rassemblement, de conservation et de publication de ces éclats
de vie.
Par-delà l’événementiel il pourrait
aussi questionner les méthodes de traitement de l’information
que fournissent ces correspondances.
En comparant des ensembles de lettres produites par des groupes
différents, on pourrait mettre en évidence certaines
caractéristiques des groupes nationaux ou régionaux
concernés : degré d’alphabétisation,
registres de communication à travers par exemple les formules
de politesse, hiérarchie des sujets traités…
On pourrait enfin se demander quelles ont pu être les réactions
produites par ces courriers, quelle a pu être leur influence
dans le pays d’origine comme dans les régions d’installation.

 

La politique à la lettre : les
Etats-Unis de l’intérieur à l’extérieur

Pierre Guerlain, Salah Oueslati

Dans cet atelier, nous nous intéresserons à divers
phénomènes de politique intérieure ou de
relations internationales, certains de ces phénomènes
pouvant d’ailleurs être à l’interface
entre l’intérieur et l’extérieur.
Ainsi, nous pourrions envisager une réflexion sur :
– les évolutions idéologiques et juridiques de
la Cour Suprême, après le remplacement de deux juges,
et également sur le « retour de l’exécutif » (présidence
impériale)
– les élections, le découpage électoral
ou la fraude électorale et ses conséquences en
termes d’image des Etats-Unis à l’étranger
– les relations entre états fédérés
et Etat fédéral (dans divers domaines tels l’environnement,
la lutte contre la criminalité, l’éducation
ou l’aide sociale)
– l’évolution des deux grands partis et leur sociologie électorale
en mouvement
– l’influence véritable de groupes tels les Chrétiens
fondamentalistes, les intellectuels néo-conservateurs
ou les groupes de pression (économiques ou ethniques)
On pourra tenter de définir ce qui, dans un monde globalisé dominé par
les Etats-Unis, relève de l’entité géopolitique étasunienne
et ce qui reste mondial ou international. On pourra alors s’interroger
sur le soft power, l’imposition de normes américaines
sur les plans technique et culturel, et sur les raisons profondes
d’un brain drain qui fonctionne au profit des Etats-Unis.
Une réflexion juridique ou politique sur Guantanamo serait
très exactement à l’interface du politique
et du juridique, d’une part, et du national et de l’international,
d’autre part.
En politique étrangère stricto sensu, les thèmes
de la « war on terror » et les implications des interventions
des Etats-Unis s’imposent, ainsi que celui des nouvelles
formes d’impérialisme avec ou sans occupation militaire.
On pourra alors interroger l’impact de la politique étrangère
sur la vie politique nationale américaine ou analyser
le keynésianisme militaire des administrations Reagan
ou Bush I et II. Certains aspects des relations commerciales
entre les Etats-Unis et le monde pourront être appréhendés
sous un angle politique ou philosophique, par exemple comment
fonctionne la relation complexe, ambiguë et ambivalente
entre les Etats-Unis et la Chine, ce nouveau rival-partenaire
qui vie en symbiose avec les Etats-Unis mais aussi dans une intense
rivalité.
On le voit, un axe de réflexion traverse ces diverses
propositions : comment continuer à penser en termes nationaux
dans un monde globalisé, surtout à propos du pays
moteur de la mondialisation.

 

Alphabétisation et Education
Malie Montagutelli

La connaissance des lettres est le premier de
tous les apprentissages scolaires. Puis une certaine forme de
connaissance se construit sur cette base, à partir de
cet apprentissage qu’est l’alphabétisation. Si alphabétisation
et éducation vont de pair à l’école, il
est aussi d’autres façons d’apprendre qui peuvent allier
les connaissances livresques à d’autres moyens d’acquisition
du savoir ou même les exclure complètement.
Cet atelier se propose d’accueillir toute communication qui traitera
de l’apprentissage des lettres, de la lecture et de l’acquisition
du savoir à l’école ou hors de l’école,
dans une perspective historique ou contemporaine, ainsi que toute
communication à propos de méthodes moins classiques
qui rejetteraient l’apprentissage livresque pour une pédagogie
plus marginale adaptée à des besoins spéciaux,
psychologiques, culturels ou autres.

 

Des lettres ordinaires ? Réflexions
autour de la poste américaine (19ème- 20ème
siècle)

Romain Huret

Dans les sociétés occidentales
contemporaines, il n’est sans doute pas d’institution
plus familière et quotidienne que la poste : en Europe
comme aux États-Unis, des études récentes
ont rappelé la richesse de cette institution pluriséculaire.
Dans le cadre du renouvellement de l’histoire de l’État,
de fines analyses ont vu le jour et ont décrit l’épaisseur
des pratiques bureaucratiques de cette institution. Des millions
de plis circulent chaque jour entre les individus : tous sont
régis par le principe d’inviolabilité des
correspondances, adopté dans l’ensemble des sociétés
occidentales. A l’intérieur des démocraties,
l’ouverture des plis est circonscrit le plus souvent à des
circonstances exceptionnelles, notamment les temps de guerres,
analysés avec rigueur par les historiens en Europe et
aux États-Unis.
Ces millions de lettres ordinaires constituent l’objet
d’étude de l’atelier que je propose. Au dix-neuvième
siècle et au vingtième siècle, le ministère
a dû réfléchir aux conditions de transport,
au statut juridique et à la confidentialité de
ces lettres. Sous la houlette d’Anthony Comstock dans les
années 1870, la poste américaine se dote d’un
arsenal juridique et bureaucratique pour réglementer l’envoi
de ces plis ordinaires. De façon récurrente, de
virulents débats émergent autour des notions de
censure, de liberté individuelle et de liberté de
circulation tout au long du dix-neuvième et du vingtième
siècle. L’atelier que je coordonne élargira
la chronologie en amont et en aval de la réforme comstockienne.

 

« Entre privé et public
: épistolarité et politique »

Lucia Bergamasco

Sans limiter le thème et la discussion
aux correspondances des grands hommes, le cas des grands protagonistes
de l’histoire comme Thomas Jefferson, qui ont essentiellement
couché leur pensée dans des lettres, invite à une
réflexion sur l’épistolarité chez des hommes
et des femmes engagés dans une activité politique,
philosophique, ou même scientifique. Et, en tous les cas,
chez des hommes et des femmes engagés dans les événements
de leur temps.
On propose de réfléchir notamment à la façon
dont l’écriture épistolaire, acte d’écriture
explicitement dialogique, mais, en en même temps communication
différée, stimulerait de façon spécifique
la réflexion (politique, philosophique, ou scientifique),
voire l’élaboration conceptuelle elle-même.
En outre, on propose de réfléchir sur le statut
des correspondances en tant que document historique, et sur l’utilisation
que l’on en fait en histoire. Il est à noter que les protagonistes
eux-mêmes exprimaient une conscience aiguë de l’importance
historique de leur correspondances auxquelles, justement, ils
attribuaient le statut de document original et irremplaçable.
Jefferson aussi considérait les correspondances comme
les documents le plus ‘authentiques’ pour rédiger la biographie
d’un homme. Cette conscience d’une ‘authenticité’, véritable
ou fictive, de la communication épistolaire est un sujet à explorer
dans ses nombreuses facettes. Ces réflexions peuvent tout
aussi bien s’appliquer à l’analyse des actes d’écriture épistolaire
plus anonymes, tels les lettres envoyées aux journaux,
ou les lettres envoyées aux personnages publics ou aux
hommes politiques.

 

Lettres de femmes
Claudette Fillard, Colette Collomb-Boureau

Si depuis l’origine « l’Amérique
n’a cessé d’entretenir un rapport privilégié à la
lettre», l’histoire de sa naissance et de son évolution
a longtemps reposé sur la circulation, la publication,
et l’exégèse de la correspondance d’hommes d’Etat,
de diplomates, de chefs de guerre, bref de personnages publics
dont les écrits avaient droit de cité. Dans le
même temps une autre histoire s’écrivait, souterraine, à travers
nombre de lettres de femmes, pour elles seul recours acceptable à l’écrit,
dans le cadre d’échanges trop souvent limités au
domaine privé. Il fallut attendre les années 60
et 70 pour que les «nouveaux historiens» reconnaissent
l’intérêt de supports moins officiels mais indispensables à leur
découverte et leur interprétation de la création
et de la vie d’une nation. L’élargissement de la gamme
documentaire permit l’émergence de l’histoire de groupes
jusque-là négligés, et parmi eux les femmes.
La voix ou plutôt la plume de maintes Abigail Adams purent
alors se faire entendre et se donner à lire. Leur correspondance
nourrit la réflexion des historiens, des sociologues,
des amateurs de littérature, et se prête à une
remarquable variété d’approches méthodologiques.
C’est à ce domaine en expansion, extraordinairement dynamique
aux Etats-Unis qui souvent ouvrirent la voie, que s’intéressera
l’atelier « Lettres de femmes (mail/femail) ».

 

GOOD NEWES FROM AMERICA : les lettres
dans l’Amérique pré-révolutionnaire

Lauric Henneton, Bertrand van Ruymbeke

L’Amérique pré-révolutionnaire
(1607-v.1760) mérite un traitement spécifique dans
la mesure où elle a le statut particulier de la colonie.
La lettre (epistola) peut être envisagée comme le
cordon ombilical entre la mère patrie et l’enfant colonial.
Bernard Bailyn, dans une étude classique, a bien montré que
sans le commerce avec l’Angleterre, la Nouvelle-Angleterre n’aurait
jamais pu se développer, comme elle l’a fait au cours
du 17ème siècle. De même, un certain nombre
de colonies tenaient leur existence de Lettres patentes royales,
dont la révocation, dans le cas du Massachusetts, furent
vécus comme un véritable cataclysme, comme rien
moins que la fin d’un monde. La période coloniale est
cruciale dans la mesure où elle est le temps de la construction,
laquelle ne s’est pas effectuée en vase clos. En effet,
les historiens de l’Amérique coloniale inscrivent de plus
en plus leur travail dans une démarche transatlantique,
et l’histoire du monde Atlantique; est, au-delà de l’Amérique
britannique, en plein essor. Si les puritains voulurent croire
qu’ils traversaient la Mer Rouge, l’Histoire montre que celle-ci
ne s’est pas refermée derrière eux, bien au contraire.
Nombreux furent les allers et retours de personnes, de marchandises
et de documents, au premier rang desquelles figurent les lettres.
Or les colonies américaines ne correspondaient pas qu’avec
la mère-patrie. On pourra donc étudier des cas
de correspondances inter-coloniales, ainsi qu’entre les colonies
américaines et d’autres puissances européennes
(France, Pays-Bas…). En plus des lettres patentes et des courriers à caractère
uniquement commercial, on pourra étudier la lettre comme
source d’information, relatant les événements anglais
ou décrivant les nouvelles terres américaines,
ou bien encore la lettre comme document public, destiné à être
lue en famille, à tout un village, à être
copiée, prêtée… La fameuse lettre de Francis
Higginson (1630) est considérée comme un reportage
avant l’heure visant à convaincre les Anglais de traverser
l’Océan, alors que la longue lettre de Thomas Dudley à Lady
Bridget (1631) a été utilisée par tous les
historiens de la Nouvelle-Angleterre en sa qualité de
seul document sur les premiers mois de la présence anglaise
entre Salem et Boston. A un niveau plus politique, la lettre
de John Cotton au Lord Saye and Sele (1636) est un des principaux
documents décrivant les institutions et les conceptions
des élites du jeune Massachusetts. Au-delà de cette
lettre prise dans son sens strict et concret d’epistola, on pourra
se pencher sur la relation au littéralisme, légal
ou biblique, du point de vue de ses défenseurs comme de
ses détracteurs. Il est réducteur d’envisager les
puritains comme des scripturalistes fanatiques et bornés.
Une analyse des pratiques judiciaires révèle en
effet qu’au biblicisme apparemment strict des lois, les juges étaient
souvent plus indulgents. Cette indulgence était d’ailleurs
jugée excessive par certains, qui demandaient une application
plus littérale des textes. Voilà qui permet une étude
de la relation entre la Lettre et l’Esprit, mais aussi entre
la théorie et la pratique, donc l’influence des conditions
propres à l’Amérique sur les projets de société des
colons. Enfin, une troisième aire de recherche est envisageable,
celle des lettres au sens de la République des Lettres,
d’un homme de lettres, comme William Bradford — ou d’une femme
de lettres, comme la poétesse Anne Bradstreet. Si Bradford
et John Smith, dans des registres très différents,
sont souvent considérés comme les précurseurs,
comme les pères fondateurs des lettres américaines,
on pourra évoquer les grandes figures que sont les John
Winthrop ou Cotton Mather, Samuel Sewall ou Benjamin Franklin,
et la façon dont ils écrivent, chacun à sa
manière et à son époque, l’expérience
américaine.

Lettres d’Amérique, Amérique
des Lettres : correspondances entre auteurs, éditeurs
et lecteurs

Claire Parfait

Roger Chartier a rappelé qu’ « un
livre est plus que le texte qu’il transmet, que tout processus
d’édition suppose des collaborations multiples,
que la signification des œuvres dépend de leur forme
et contexte de publication et que leur appropriation est toujours
inventive et contrainte. » C’est dans cette perspective
d’histoire du livre que cet atelier se propose d’aborder
le thème du congrès, « Lettres d’Amérique ».
Ainsi, prenant la lettre au sens propre, on s’intéressera
aux correspondances d’auteurs, d’éditeurs,
et de lecteurs. Les lettres échangées entre les
auteurs et leurs éditeurs s’avèrent souvent
révélatrices de toute une série d’enjeux,
qu’il s’agisse de tentatives de censure par un éditeur,
par exemple, ou de négociation sur le choix d’un
titre, quelquefois d’un format, d’une typographie,
ou encore – surtout au 19ème siècle – d’un
illustrateur. On sait par ailleurs l’influence que les
lettres de lecteurs ont exercé dans certains cas sur les
feuilletons au 19ème siècle. On pourra également
se pencher sur ces lettres aux lecteurs que sont les préfaces,
guides de « bonne lecture », ou examiner la manière
dont Internet a redéfini les rapports entre auteurs et
lecteurs, et entre lecteurs d’un même auteur : ainsi,
les sites web d’écrivains, de John Grisham à Raymond
Federman, permettent de nouveaux échanges entre un écrivain
et ses lecteurs, tout en ouvrant des forums de discussion entre
les lecteurs eux-mêmes.

 

Lettres noires : Incidences de la lettre
dans la culture afro-américaine

Claudine Raynaud

Cet atelier propose un itinéraire, à travers
quelques exemples choisis et une approche pluridisciplinaire,
pour examiner la fonction et les utilisations de la lettre (lettre-matériau
du collage, missives, lettres ouvertes, correspondances) dans
la culture noire américaine. Les questions abordées
sont celles du lien spécifique entre les lettres noires
(l’épistolaire et les correspondances) et la littérature
noire américaine, la lettre « ouverte » et
la liberté du sujet noir, la lettre et le politique. L’interrogation
centrale étant : en quoi consiste la spécificité de
ce lien ?
Plus concrètement, la lettre comme matériau, objet
et matière recyclée, permet de placer au centre
du débat le rapport entre expéditeur et destinataire
(le trajet de la lettre) quand l’artiste lui-même
fusionne ces deux identités et laisse voir l’objet-lettre.
Raymond Saunders met également en scène dans ses
tableaux la violence du message : ce que contient la lettre.
Cette modalité, l’urgence d’une écriture
de la survie, est une des caractéristiques de la lettre
noire qui trouve son origine dans les lettres -mots de passe-
des esclaves qui imitaient l’écriture de leur maître
pour atteindre les Etats du Nord.
Tout en conservant la trace du rapport hautement problématique à l’apprentissage
de la lettre, l’illettrisme forcé des esclaves et
la fétichisation de la lettre, le roman épistolaire
noir américain (ici représenté par deux
romans très différents, The Color Purple d’Alice
Walker et A History of the African People (proposed) by Strom
Thurmond de Percival Everett) s’inscrit dans l’héritage
européen du XVIIIème siècle et s’en
démarque fortement. Alors que l’« innocence » de
Celie se lit dans la
transcription phonétique d’une oralité codifiée,
la parodie chez Everett permet un examen de l’écriture
de l’Histoire en montrant sa face cachée. Le vol
de la lettre, métaphore originelle du désarroi
des esclaves, proprement désemparés, est vite supplanté par
un détournement de cette même lettre, par un jeu
de destinataires. Il faut alors s’interroger dans ce contexte
sur la valeur attribuée à cet autre dans la destination
de la lettre noire.
Les lettres ouvertes et la correspondance de James Baldwin avec
son éditeur permettent de mettre en avant l’articulation
contradictoire de deux fonctions de la lettre noire : le personnel,
l’intime, et le politique, cette parole agissante de la
lettre, lue par tous, « ouverte ». L’effacement
du désir homosexuel au moment même ou l’entreprise
est de retracer la naissance du sujet-écrivain est le
fruit d’une correspondance pour aboutir a l’objet-livre
Native Sons. Quel est le prix à payer pour le sujet noir
? Parallèlement, Baldwin, dans ces lettres ouvertes, radicalise
son propos pour arriver à une parole politique, prophétique,
sur un socle de revendication identitaire. Si Angela Davis sert
de fil conducteur –biographique– entre James Baldwin
et George Jackson, c’est qu’il est question dans
les lettres de prison de ce dernier de la possibilité d’un
récit épistolaire, de l’auto-réflexivité de
l’écriture. La lettre tend ici encore à la
représentation d’une contre-histoire face à l’Histoire
légitimée par le pouvoir. Elle est la marque brute,
mais toujours soucieuse de son destinataire, d’un combat politique.
Elle est aussi preuve d’amour. La
lettre noire se fait entendre tout contre l’oralité et
la musicalité dont
elle n’est pas simplement l’envers.

Visual scripts / Inscriptions visuelles
américaines

France Jancène-Jaigu, Didier Aubert

"If I could do it, I’d do no writing at
all here. It would be photographs […]" Aux premières
lignes de Let Us Now Praise Famous Men (1941), James Agee cherche à justifier
son association avec Walker Evans, dont les images en ouverture
du livre semblent tout dire de l’existence âpre des famille
pauvres de l’Alabama. Reportage avorté pour le magazine
Fortune, le travail des deux hommes a pris désormais une
place à part au Panthéon des lettres américaines.
Recueil photographique, poétique, voire théâtral,
cette "Country Letter" (titre de la première
partie) se construit grâce à la cohabitation constante
du texte et de l’image, sans que le lien entre les deux ne soit
jamais explicité. Autant les photographies d’Evans
trouvent-elles naturellement leur place dans le recueil, autant
leur seule présence ne paraît-elle pas suffire : "If
I could do it, I’d do no writing at all here". Tel serait
le sens du regret qu’exprimait Agee, car cette limite à laquelle
se heurte l’image signerait, en définitive, sa dépendance à la
lettre.
Cet atelier se propose d’explorer un certain nombre de ces "inscriptions
visuelles" qui, comme Let Us Now Praise Famous Men, interrogent
l’identité de la nation par la lettre et l’image. Si le
cliché veut que les Etats-Unis soient le haut-lieu d’une "culture
visuelle" de masse, l’image américaine a le plus
souvent recours à des scripts de toute nature (scénarii,
légendes, field notes, titres, etc…) qui donnent à la
photographie, à la peinture ou à l’architecture
une véritable fonction dans l’expérience américaine.

 

Crises et évolutions : les représentations
de l’Amérique dans les adaptations cinématographiques

Gilles Menegaldo, Anne-Marie Paquet-Deyris.

La littérature a donné lieu à des
interprétations et des représentations très
diverses des moments fondateurs, des périodes de crise,
de transition, ou des figures emblématiques de la nation
américaine – la révolution américaine, la
Guerre de Sécession, la prohibition par exemple. Le cinéma
a imposé au cours des époques sa relecture de ces
mêmes événements en fonction de critères
tels l’horizon d’attente, le contexte économique
ou culturel et idéologique.
En s’appuyant sur les théories actuelles de l’adaptation
cinématographique, les contributeurs tenteront d’apprécier
l’écart entre deux modes de mises en scène
du réel. Dans une liste non
limitative de films comme Autant en emporte le vent [Margaret
Mitchell ; Victor Fleming], Gatsby le magnifique [F. S. Fitzgerald
; Jack Clayton], Le grand sommeil [Raymond Chandler ; Howard
Hawks] ou encore Portrait de femme [Henry James ; Jane Campion],
il s’agira d’aborder les problèmes de la trans-médialité et
de l’hybridité générique, ainsi bien
sûr, que tous les aspects d’ordre narratif, formel
et esthétique spécifiques de l’adaptation.

 

De la réserve à l’explicite
: les enjeux de la littéralité

Matthieu Duplay

Nombreuses sont les approches du texte littéraire
qui en font le lieu ou l’agent d’une « retenue » à l’œuvre
dans l’écriture, depuis les démarches herméneutiques
classiques, qui débusquent le non dit au moyen de diverses
opérations de « décodage », jusqu’aux
lectures post saussuriennes dont l’ambition est d’étudier
les modalités du renvoi d’un signifiant à l’autre,
qu’il s’agisse de se mettre en quête d’un
maître signifiant à jamais inaccessible, ou que
le projet consiste à l’inverse à traquer
les manifestations de la différance toujours déjà creusée
dans toute inscription. Quoique ces approches se distinguent à bien
des égards, un point commun les réunit : l’idée
que la lettre opère dans le renvoi à un ailleurs
qui n’est pas elle, quand bien même on s’interdit
de penser cet ailleurs sur le modèle de l’idéalité transcendantale
ou de le doter d’une quelconque antériorité réelle,
susceptible à ce titre de le faire apparaître comme
une « origine » ou un « principe ». Une
question demeure donc sans réponse : celle de la part
irréductible d’explicite qu’enveloppe la littéralité comme
telle, entendue comme ce qui est donné une fois pour toutes,
sans réserve et sans reste. Sans doute n’y a t il
rien là qui se laisse penser à la lumière
des différentes définitions du signe linguistique,
lequel, chez Saussure comme chez Peirce, n’existe que comme élément
d’un dispositif dynamique dont la trace sonore ou phonique
effectivement perçue n’est qu’une composante
parmi d’autres, et non la plus importante. Mais la littéralité agissante
n’en relève pas moins d’une analyse de type
pragmatique et peut à ce titre être étudiée à la
lumière du concept de performativité tel que le
formule J. L. Austin, voire en rapport avec la conception originale
de la signification qui s’élabore dans les derniers
ouvrages de Wittgenstein. Par ailleurs, on peut concevoir une
phénoménologie de la littéralité qui,
attentive à la réflexion de Giorgio Agamben sur
l’experimentum linguæ, se montre capable d’interroger
les nouvelles formes de la recherche en sémantique, telle
la réflexion menée conjointement par Pierre Cadiot
et Yves Marie Visetti dans une optique néo gestaltiste.
Par delà les enjeux sémiotiques, se profile bien
sûr une question proprement littéraire, celle des
nouvelles modalités du discours critique qu’appelle(rait)
la prise en compte de la littéralité, ainsi définie
en des termes qui font apparaître les limites des approches
en vigueur.